« Quand je porte des fringues que j’aime, c’est le seul moment où je peux me regarder sans me détester »
Hier je découvrais le premier volume de « Boys run the riot » de Keito Gaku, paru chez Akata.

Dans ce manga en quatre volumes, le mangaka décrit les combats intérieurs de Ryo, lycéen assigné femme à la naissance, qui tente de trouver une échappatoire dans le graffiti et la création de vêtements. « Quand je porte des fringues que j’aime, c’est le seul moment où je peux me regarder sans me détester », dit-il, dans une phrase qui fait le pitch de la série.
Le vêtement symbolise notre rapport le plus simple au corps. Deux œuvres très différentes que j’ai pu découvrir depuis l’année dernière ont nourri ma réflexion sur cet accessoire qui paraît superficiel à bien des personnes. Dans une scène de « Titane », le film de Julia Ducournau, l’uniforme de pompier crée la virilité du personnage principal, et c’est par une scène de danse langoureuse que le public se rend compte de la profonde subversion de ce vêtement. Ce qui passait pour du déguisement, un travestissement, une moquerie, prend alors un sens inattendu, du moins pour une personne qui ne se serait jamais interrogée sur ce genre de symbolique.

Est-ce que le vêtement fait la personne ?
Dans « Melmoth Furieux », Sabrina Calvo offre au vêtement une fonction à la fois émancipatrice, révolutionnaire et mortifère. J’y ai repensé récemment en sortant un tee-shirt Ursula arc-en-ciel de mon armoire. Un tee-shirt Disney. Je m’interrogeais sur ce vêtement précis : acheté pas cher, il avait quand même nécessité qu’une personne ait assez de culture queer pour assimiler Ursula à la culture drag et le faire valider par je ne sais quelle équipe marketing. Et je me retrouvais face à ce tee-shirt au moment où on apprenait les censures queerphobes de Disney dans ses productions Pixar (pas nouveau) et son soutien financier à des promulgations de lois de censures queerphobes dans les écoles de certains états nord-américains. C’était assez vertigineux et j’ai pensé à transformer ce vêtement pour me le réapproprier.

Un vêtement vous libère et il vous poignarde dans le dos en même temps.
Ce qui m’interroge du coup, c’est que, en tant qu’auteur, le vêtement ne m’intéresse absolument pas. Comme dans ma vie de tous les jours, il ne vient là que pour répondre à une fonction précise : me couvrir, me réchauffer, me protéger de la pluie.
Et encore, allant plus loin, les personnages non-binaires ou trans que j’écris s’effacent. Non pas qu’iels cessent d’exister, au contraire, mais iels en arrivent à être d’une dimension où le corps n’a plus d’importance, et où le vêtement ne fait que symboliser une fonction : Anthon est un mercenaire, il porte des vêtements de cuir et de quoi porter ses armes, dans « La Princesse Oubliée » ; Fortune, un des personnages principaux des « Chasseurs » peut voyager à travers différentes temporalités, où iel se présentera toujours sous la forme d’une entité nue, qu’elle soit masculine ou féminine ; dans la vie de tous les jours, iel porte les mêmes vêtements que moi, jean et tee-shirt. Dans mes deux nouvelles à paraître cette année, c’est le réseau qui accueille ces personnages. Nous sommes par-delà le corps et ce qui le recouvre ou ce qui l’identifie.
En fait je pense que je trouvais trop « facile » de jouer avec le vêtement, dans mes écrits, pour souligner l’altérité de mes personnages. J’ai grandi avec une pop culture où le travestissement était (et est encore) moqué. Ou réservé à des personnes extrêmement belles et androgynes.
Mais en lisant les ouvrages cités ici, ou les films et autres œuvres du même genre, je commence à percevoir une autre façon de créer autour de cet accessoire qui me paraît la plupart du temps juste encombrant.
J’aurai presque envie d’en faire un défi personnel…
Œuvres citées :
- Boys run the riot, Keito Gaku. Akata
- Titane, Julia Ducourneau.
- Melmoth Furieux, Sabrina Calvo. La Volte.
Merci pour cet article bien construit et bien illustré ! J’espère que tu feras un article bis pour montrer si et/ou comment tu as apprivoisé ce défi.
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