Slam Dunk, l’écriture, le queer, et moi (partie 1)

Slam Dunk : le manga.

Commençons par le commencement.

Slam Dunk est un manga de Takehiko Inoue qui a été prépublié au Japon de 1990 à 1996 et comporte 31 tomes en version compilée. La version française éditée par Kana est arrivée chez nous entre 1999 et 2004.

Il s’agit d’un shônen, donc une œuvre publiée à destination des jeunes adolescents de 13 à 18 ans, et il appartient au genre du manga de sport. Le style est réaliste.

Slam Dunk est la première œuvre importante de Inoue, même s’il a déjà publié une minisérie (également sur le basket-ball) Il est jeune, le sport n’est pas forcément à la mode à ce moment-là, et encore moins le basket (au Japon on est plutôt base-ball et football) Alors le début du manga hésite beaucoup entre comédie romantique (Inoue n’y est vraiment, mais vraiment pas doué), sport et histoire de voyous.

Hanamichi Sakuragi @ Takehiko Inoue

Le succès grandissant de la série en prépublication va permettre à Inoue de faire un virage total vers le sport, et à partir du tiers de la série on n’y parle plus que de basket-ball.

Le héros est Sakuragi Hanamichi, trop grand, trop sanguin et pas assez intelligent pour faire de son expérience scolaire une réussite. Et il se fait jeter régulièrement par les filles. Jusqu’au jour où l’une d’elle le remarque pour sa taille et lui demande de rejoindre le club de basket du lycée.

Voyant une opportunité de plaire (ça ne fonctionnera absolument pas), Hanamichi s’inscrit au club, dont la seule lettre de noblesse est d’avoir un entraîneur reconnu. Pour le reste, malgré la sévérité de son capitaine Akagi, le club vivote, même si cette année ils ont pu recruter un jeune talent, Rukawa, qui n’a choisi ce lycée de seconde zone que parce qu’il est près de chez lui, ce qui lui permet de dormir plus longtemps ! À ces trois joueurs s’ajoutent deux élèves de première, Miyagi, meneur, et Mitsui, qui a abandonné le basket pendant deux ans à la suite d’une blessure. Les deux sont aussi des graines de voyous.

Lycée public fréquenté par des petites frappes, équipe de mecs plus impatients de se battre que de bosser, Slam Dunk aurait pu, sans doute, se complaire dans le manga de voyous (Masanori Morita refera la même avec Rookies quelques années plus tard)

Mais le basket prend le pas.

Les personnages se plient à un entraînement hyper réaliste (ici on ne traverse pas le désert du Nouveau Mexique comme dans Eyeshield 21) et participent au tournoi inter lycée (pas de compétition nationale ou internationale dans l’espace, réalisme, réalisme, et encore réalisme)

Le seul élément fantaisiste de la série reste Hanamichi, dont les compétences physiques font parfois autant sourire que son caractère absurde, même si, très régulièrement, Inoue confronte ses personnages à la défaite, à des équipes plus fortes, et aux accidents, aux blessures, bref, à la vie.

L’équipe de Shohoku @ Takehiko Inoue

Histoire d’un lecteur de manga des années 2000.

Je ne sais plus trop comment je suis arrivé au manga. Né en 77, j’ai grandi avec le Club Dorothée, mais je m’en suis détaché assez vite, vers 13/14 ans, ne supportant ni les séries hyper dramatiques et romantiques, ni les erreurs de diffusion (bonjour Ken le Survivant !)

Arrivé à la Fac, vers 95/96, j’expérimente les premiers films d’animation qui arrivent en France dans les circuits hors festivals. Ma sœur, adolescente, me fait découvrir Neon Genesis Evangelion, je me retrouve en librairie à regarder les différents titres, et à tester.

Evangelion, mais aussi Card Captor Sakura et… Slam Dunk.

À l’époque, pour les plus jeunes d’entre vous, il faut bien se souvenir que moins de 100 titres étaient publiés en France, titres auxquels on ôte les publications qu’un pauvre étudiant ne pouvait pas se payer parce que plus chères (comme les Crying Freeman, Akira ou les œuvres de Taniguchi)

Vraiment c’est grâce à ce peu de choix que je lis mon premier tome de Slam Dunk parce que, à la base, le sport, ça ne m’intéresse vraiment pas.

Je lis, je rigole vraiment, parce que les premiers volumes sont de la pure comédie, et je suis complètement accroché. Tellement accroché que j’achète les volumes disponibles. Mais la série ne sera complète que quatre ans plus tard.

Nouvelle note : à l’époque, les scanlations n’existent pas encore, les modems ne sont pas assez puissants pour permettre à tout quidam de scanner, modifier, et mettre à disposition des traductions pirates de série. Alors je me retrouve à lire des résumés en anglais. Je me fais entièrement spoiler toutes l’histoire (rien n’est gâché parce qu’en fait rien ne vaut le dessin et je profiterai tout autant de la fin de la série quelques années plus tard)

Je squatte donc l’ordinateur familial, au lieu de rédiger mon mémoire de maîtrise.

Et j’arrive à la fin.

Et je me dis : bon sang il doit y avoir une suite ! Pitié, dites-moi qu’il y a ne suite, cela ne peut pas finir comme ça. J’étais en hyperfixation totale (j’ai été diagnostiqué 25 ans plus tard, croyez en vos rêves)

J’effectue mes recherches avec le google préhistorique et je tombe sur une nouvelle traduction (juste un script en anglais), que je prends pour la suite.

Dans cette suite, Rukawa, un des personnages principaux et la Némésis de Sakuragi, participe à l’entraînement d’été de l’équipe nationale, avec Sendoh, un autre très bon joueur d’une équipe adverse. Et là… ils s’embrassent ! (En gros résumé, le doujinshi contient 21 volumes)

Deep Purple. SendohxRukawa @ P-rhythm

Bienvenue dans le fandom !

Bébé queer venait de lire la transcription d’une série de doujinshi parue au Japon sous le titre de Deep Purple, par l’artiste P-rhythm.

Imaginez vous êtes en pleine dépression, en train de vous noyer à l’université, internet est à peine né, et vous plongez dans un monde inconnu jusqu’alors : ce qu’on appelait à l’époque le yaoi. Je découvre bien vite que ce que je viens de lire n’a rien d’officiel. Mais bon sang, qu’est-ce que c’est bien !

Et c’est encore mieux quand je me rends compte qu’il n’y a pas que des doujinshi, mais aussi des fanfics, et que je peux en écrire aussi. Alors, tout en attendant toujours avec impatience la sortie du prochain volume de Slam Dunk, je commence à faire mes petites histoires.

À ce moment-là de l’histoire, le fandom français n’existe pas. Je me retrouve sur un forum anglophone fréquentés par des fans d’Europe (un peu) et d’Asie du Sud-Est (beaucoup) C’est là que je fais mes premières armes. Mon anglais s’améliore beaucoup. Dans le même temps je choppe des images sur le net, des officielles surtout, scans des merchandisings de la série d’animation.

Autant dire que mon mémoire de maîtrise est perdu corps et biens.

Il suffit de quelques mois pour que j’arrive enfin dans le fandom français yaoi, avec la mailing-list de la yaoifrance. Il s’agissait d’une liste de diffusion fonctionnant comme un forum : en répondant à un message, tous les membres du groupe recevaient le-dit message.

Et là, très très très peu de gens lisaient Slam Dunk (on était plus sur le duo Saint-Seiya / Clamp)

Me voilà parti à faire du lobby, cela n’a pas été très compliqué, et j’écris mes premières fanfics en français.

Restes de mon premier site @ Web Archives

Je crée un site, j’héberge des histoires d’autres auteurices, j’achète des doujinshi de façon complètement illégale : pas de paypal, pas de paiement international, on envoie des dollars américains en enveloppe vers les États-Unis et on croise les doigts pour récupérer son dû à la fin. Je participe au fanzine de la yaoifrance, j’y rédige notamment un article sur les mangas de sport.

Je fais mes premières Japan Expo !

Et j’écris.

Beaucoup.

Plus seulement sur Slam Dunk (même si je reste un RuHana Fan), mais sur d’autres fandoms, particulièrement Prince of Tennis, mais aussi Naruto et une autre série dont je préfère oublier le nom vu que l’auteur est un connard.

Le travail est vraiment intense et dure pendant une période qui me paraît hyper longue mais qui durera juste à peu près 6 ans.

Doujinshi Slam Dunk. Mitsui @ Kazuma Kodaka

Les fanzines passent du format A4 au format A5, les sites internet ne sont plus juste des codages html pourris mais des pages en css, les téléphones portables apparaissent ! Des potes font du montage vidéo, c’est l’époque des fanvids, des extraits de séries d’animation montés sur des chansons populaires.

Et là…

Ça s’essouffle.

Japan Expo devient trop grand, trop plein de monde.

Doujinshi. RukawaxHanamichi @ Ayano Yamane

Les quelques sorties officielles de mangas boy’s love sont décevantes. Les gros vendeurs sont des séries à rallonge (c’est les débuts de publication de Naruto, One Piece, Détective Conan, YuGiHo) et on grandit.

Je suis en pleine dépression. Je suis allé deux fois au Japon mais entre ces bulles d’évasion il n’y a plus grand-chose d’autre que le chômage et une solitude à gérer. Comme d’autres, je réfléchis au boy’s love, à la misogynie de ce que j’ai pu lire ou écrire, à la fétichisation possible également. Sans me douter encore qu’il y a aussi là-dedans autre chose, que l’écho que j’ai trouvé dans ce milieu faisait vibrer mon identité.

J’ai arrêté le fandom.

Mais je n’ai pas arrêté Slam Dunk.

A suivre…

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